Voici le commencement d'une rubrique nouvelle qui complète les pages d'un carnet de voyage, dont l'ambition est l'immersion de notre auditoire dans les coulisses de Microland et celui du monde du vivant.
Ce premier "Entretien avec..." vous présente Louise Filippi, Réalisatrice et Documentariste, qui accompagnait alors les chercheurs scientifiques de l'ONG durant la première expédition sur São Tomé-et-Príncipe, février dernier.
Durant ce voyage, Louise revisite le concept du documentaire scientifique indépendant à sa manière : entre intimité et mystère, elle nous emmène dans un monde à part, suivant les journées de chercheurs scientifiques de l’ONG Microland, au fin fond de forêts primaires d’isolats dans le Golfe de Guinée. Une nature sauvage s’éveille tandis que des ondes humides de jungles tropicales nous submergent, Atento est un documentaire qui frôle la fiction.
L’île a eu comme effet de modifier la dynamique de tournage.
Synopsis : « Derrière la brume, une équipe de chercheurs plonge au coeur de la jungle pour y étudier la faune et la flore. Observer, écouter, répertorier... ce sont des gestes et des regards qui sont à l’oeuvre pour comprendre et préserver notre environnement. En suivant leur parcours au gré des écosystèmes, le film tente d’explorer ces différents milieux et mettre en lumière les enjeux de l’île. »
Se laisser porter par les mouvements de la nature faisait partie des conditions de tournage, et devenait un paramètre essentiel pour parvenir à filmer se qui se cachait derrière ce rideau végétal dense qu’est la jungle.
Microland : Parlez-nous de votre ambition dans la réalisation d’Atento. Comment l’idée d’un documentaire est-elle née et quelles en étaient les attentes ?
Louise Filippi : Cela fait maintenant plusieurs années que je travaille de manière ponctuelle aux côtés de mon père Gérard Filippi. J’ai d’abord commencé à le suivre avec ma caméra sur ses études de terrain dans le sud de la France pour filmer la faune et la flore locale. Puis en 2018 il m’a parlé de ce projet d’expédition à Sao-Tomé et Principe qu’il souhaitait organiser avec toute une équipe de scientifiques dans le cadre de Microland. C’était l’occasion de participer à cette aventure et monter un premier film, dont l’ambition première était simplement de documenter visuellement les jours passés là bas et valoriser les actions de l’association Microland... En favorisant les gestes et le regard avant le discours, je pense que le film tente de rendre sensible le contact de l’homme à son milieu et la capacité de chacun à observer, écouter et comprendre ce qui l’entoure. En généralisant les dispositifs scientifiques mis en place et en privilégiant l’apprentissage sur l’île, chaque chercheur devient un personnage auquel on peut s’identifier, avec ses moments d’incompréhension, d’attente, de doute ou d’émerveillement face à la nature. L’idée était aussi de s’impliquer dans un travail collectif, au sein d’une équipe, d’échanger et partager des points de vue, des connaissances pour nourrir le film.
Aussi, le film ne donne pas à voir l’histoire d’un pays ou les contours d’un territoire, il n’a pas non plus une visée pédagogique ou informative, mais il tente de dresser le portrait générique d’une île qui pourrait s’étendre à chaque recoin du globe. L’idée n’était pas d’expliquer les méthodes de recherche ou bien le fonctionnement des espèces de manière explicite mais plutôt d’en rendre compte pour s’attarder sur ce qui est compréhensible par tous. Il s’agissait alors de montrer le quotidien, la minutie des gestes associés aux phénomènes naturels. Dès lors, le monde du vivant n’est plus juste une donnée étrangère, ou simplement un paysage, mais plutôt ce avec quoi nous interagissons chaque jour, par le biais de nos actions, de notre mode de vie. Ce qu’on a tenté de mettre en lumière avec ces images c’est aussi que la compréhension de la biodiversité est un processus en perpétuelle évolution, que cela nécessite de la patience et que chaque élément, même le plus infime, mérite notre attention (d’où le titre « Atento » qui veut dire « être attentif » en portugais). Et aussi que cette île fait l’objet d’enjeux plus vastes et que son écosystème ne connait pas de frontières distinctes, qu’il ne s’agit pas d’une zone hermétique au reste du monde, mais qu’il existe des réseaux de passage, des communications entre les différents milieux...
Quelles ont été les étapes dans la création de ce documentaire ?
Avant le voyage il a d’abord été question de cerner à la fois les enjeux de l’île mais aussi ceux de l’association Microland, avec entre autres, le soutien de Louise De Calan qui a contribué à la mise en route du projet. Cela s’est fait par le biais d’un travail de recherches, d’échanges et réunions, de dialogue ouvert avec les membres pour tenter de dessiner les contours d’une narration à venir. Il n’y avait pas de script précis ou storyboard, seulement un travail de lecture, de collecte d’images et références visuelles pour laisser petit à petit murir le projet. Je pense que cette flexibilité de point de vue était nécessaire pour ne pas plaquer d’idées préconçues avant le tournage et être attentif à ce qui allait se passer. La post-production a été décisive aussi dans la conception du film, qui a duré 3 mois. De manière générale, le film a été très rapide et intense dans sa production. Avec l’aide de Mila Olivier j’ai pu affiner le montage, le rythme et c’est elle qui s’est occupée des couleurs du film pour retranscrire les tonalités de la jungle, les camaïeux de verts, la carnation des personnages, les contrastes et les ombres... Hugo Lioret, le compositeur a aussi beaucoup apporté à l’univers sonore du film, proche du field recording. Il était très sensible aux moindres détails et variations au sein de l’image. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises pour discuter des séquences qui nécessitaient de la musique ou un travail sonore particulier, et il m’envoyait ensuite des pistes composées. Une fois la post-production finie, il ne restait plus qu’à le projeter (lors de la conférence Microland qui a eu lieu le 24 mai 2019) et nous étions ravis des premiers échanges avec les spectateurs, qui dans l’ensemble étaient assez réceptifs au film.
Racontez-nous votre aventure cinématographique sur Sao Tome et Principe. Quels ont été vos émerveillements, vos inspirations et vos frustrations ?
L’île a eu comme effet de modifier la dynamique de tournage. 10 jours se sont écoulés avec seulement une semaine de captation, et pourtant la forêt a suspendu le quotidien, changeant complètement la perception du temps. Nous n’avions que rarement accès à l’électricité et il n’y avait pas non plus de réseau, notre organisation s’est peu à peu adaptée au rythme du soleil, aux variations du climat. L’humidité tout comme les terrains accidentés par la flore sauvage devenaient des enjeux techniques qu’il fallait apprivoiser. Ces contraintes m’ont amenée à adapter ma manière de filmer, ma manière de voir. Ma caméra numérique ne me permettait plus de filmer sans limite car c’est un modèle qui consomme beaucoup d’énergie et qui produit des rushs assez lourds. Toute la chaine de production d’image s’en voyait ébranlée. Je ne pouvait plus faire une multitude de prises, ni regarder mes rushs, car chaque minute devenait précieuse. Se positionner, attendre, observer... REC...et c’est tout. Le soir la carte était vidée sur le disque, je vérifiais rapidement toutes les vignettes, et cela me permettait de composer le film au fur et à mesure.
Se laisser porter par les mouvements de la nature faisait partie des conditions de tournage, et devenait un paramètre essentiel pour parvenir à filmer se qui se cachait derrière ce rideau végétal dense qu’est la jungle. Du levé du jour à la nuit tombée se profilait une multitude d’évènements. La musique composée par Hugo Lioret avec ses nappes progressives, tout comme l’image et la durée des plans, se ponctuaient d’éléments brefs, vifs, éphémères, qu’il fallait capter, moduler. Il y avait un itinéraire de base, mais chaque membre de l’équipe programmait ses tâches au jour le jour, générant plusieurs trajectoires que je choisissais de suivre ou non. La brume est devenu un élément récurrent, presque aussi présent que la photosynthèse. Les paysages se mêlaient aux détails, aux matières, avec les nuances d’une plante ou les reflets d’un insecte, ses velours ou sa carapace. Nous avons fait le tour de cette île équatoriale, traversant des écosystèmes très différents. Les montagnes se substituaient aux plages, à la mangrove ou la savane. Tandis que l’on passait d’une altitude à une autre, les phénomènes du vivant se laissaient percevoir à la manière d’organismes lumineux, sonores et sensoriels.
On se remémore vos court-métrages et il est clair que votre oeil est different. Quelles sont les mouvements et autres curiosités qui vous caractérisent, et qui sont retranscrit dans Atento ?
Atento condense peut être plusieurs influences qui marquent beaucoup mon travail depuis un moment, qui concernent le rapport de l’homme à l’écologie au sens large, c’est à dire de toutes les interactions qui s’opèrent au sein du vivant et du non vivant et comment la caméra peut entrer dans ce circuit là. Avec aussi un intérêt pour l’étrange, l’ambivalence de notre environnement, ce qui ne se dévoile pas au premier regard mais qui nécessite une attention particulière, un rapport plus primitif aux choses, plus sensoriel et qui peut parfois nous mettre mal à l’aise. Même si le film reste assez neutre dans les références qui m’inspirent, il y a peut être certaines occurrences (très minimes) qui peuvent rappeler le cinéma d’horreur ou fantastique que j’aime beaucoup.
Qu’attendez-vous d’Atento ? Y aura-t-il une suite ?
Pour le moment le film circule dans les circuits des festivals, quelques sélections ont été confirmées et nous attendons les réponses d’autres festivals. Nous sommes ravis que le film puisse être vus et partagés avec d’autres personnes, qu’il puisse continuer à vivre. Dans tous les cas, je suis très heureuse d’avoir pu mener à bien ce film, c’était une aventure assez décisive dans mon travail personnel et si il y a une quelconque résonance avec d’autres personnes tant mieux. Aussi, ce premier documentaire marque peut être le début d’une série d’autres films sur les mêmes thématiques environnementales avec Microland. Ce sera un processus long mais qui portera ses fruits dans les années à venir. Je suis très reconnaissante d'avoir pu réaliser ce documentaire avec une équipe aussi investie et passionnée et je remercie tous ceux qui ont apporté leur aide tout au long de ce projet.
Suivez Louise Filippi sur :
Atento listé dans les festivals suivants :
Comments