Bienvenue dans notre rubrique "Entretien avec ..." qui complète les pages d'un carnet de voyage, dont l'ambition est l'immersion de notre auditoire dans les coulisses de Microland et celui du monde du vivant.
Michel Papazian a plongé dans l'univers des insectes et de leurs micro-habitats depuis bien des années. Enfant, il sillonnait les collines de La Ciotat, accompagné d'une curiosité débordante et de cette envie de comprendre le monde qui l'entourait.
Cette notion de connaissance et de compréhension du monde du vivant est bien plus qu'essentielle de nos jours. Michel transmet donc son savoir avec enthousiasme et rigueur à travers ses différents projets. Nous sommes extrêmement ravis d'avoir son soutien au sein de Microland en tant qu'expert Odonates (libellules). Nous avons publié ses manuscrits parus dans la revue l'Entomologiste, co-écrits avec Gérard Filippi, sur la connaissance des Odonates de São Tomé-et-Príncipe.
Dans cet entretien, vous découvrirez les missions principales que Michel entreprend au sein de notre association, son regard avisé sur la profession d'entomologiste, et bien plus encore.
Tout jeune, je m’y rendais (N.D.L.R : les collines de La Ciotat), pour me promener, découvrir de nouveaux lieux, et surtout pour observer la nature, toute la nature : les animaux, les végétaux, les pierres et les minéraux, le ciel. Mais je souffrais d'une grande frustration, l’ignorance du nom des « choses » qui m’entouraient.
Microland : Michel, vous êtes Entomologiste amateur, Président de l'OPIE-Provence-Alpes-du-Sud, Membre du Comité Régional de la Biodiversité PACA, et Expert Odonates. Racontez-nous votre parcours et le déroulement du début de votre collaboration avec Microland.
Michel Papazian : Que dire de mon parcours, qui a commencé alors que je n’étais qu’un petit garçon ? J’ai eu la chance d’habiter à la lisière des collines surplombant La Ciotat. Tout jeune, je m’y rendais, pour me promener, découvrir de nouveaux lieux, et surtout pour observer la nature, toute la nature : les animaux, les végétaux, les pierres et les minéraux, le ciel. Mais je souffrais d'une grande frustration, l’ignorance du nom des « choses » qui m’entouraient. Cela me paraissait inconcevable de passer des heures dans « la colline » en ignorant le nom de ses composants. Je récoltais donc sans distinction, pierres, plantes, animaux.
Une deuxième chance m’a permis d’avoir comme amis d’enfance deux frères, Jacques et André Nel, qui ne sont plus à présenter dans la sphère scientifique actuelle. J’ai pu ainsi acquérir, par leurs conseils, des documents permettant la détermination des pierres, des plantes et des animaux. En ce temps-là, il ne s’agissait pas de Guides illustrés de superbes planches, mais de clés dichotomiques rudes, accompagnées de quelques figures approximatives.
Une troisième chance s’est présentée à moi, lors de la rencontre du Professeur Louis Bigot, qui n’aura de cesse, durant plus d’une quarantaine d’années, de me conseiller, de m’encourager et de me soutenir lors de périodes difficiles.
Gérard et moi-même avons vu nos routes se croiser à plusieurs reprises lors de ces dernières années. Gérard, initiateur du projet São Tomé-et-Principe « Archipel de Biodiversité », connaissant l’OPIE-Provence-Alpes-du-Sud (N.D.L.R : Office pour les insectes et leur environnement), et l’existence en son sein d’un groupe d’experts, m’a contacté afin de voir dans quelles mesures mon Association pouvait lui venir en aide pour la détermination des futures collectes d’insectes effectuées sur l’archipel.
C’est après plusieurs concertations que j’ai pu constituer une équipe d’experts provenant de tous horizons, au-delà du groupe de mon Association. Gérard a immédiatement accepté cette équipe.
Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier et pourquoi vous être spécialisé dans les Odonates ?
Lors d’une sortie de recherche paléontologique avec André Nel, les premiers insectes fossiles me sont apparus et, avec eux, le concept d’évolution. Ce fut un tournant déterminant. La nervation des ailes des libellules fossiles est fascinante, présentant à la fois des caractères archaïques, évolutifs, rétrogrades. Et il en est ainsi chez les libellules actuelles.
Dans un contexte familial et professionnel qui ne me permettait pas de « tout faire », je me suis spécialisé dans l’étude des libellules actuelles sans délaisser, loin sans faut, la nature dans sa globalité. S’en est suivi un perfectionnement autodidacte et une « montée en grade », du niveau local au niveau international.
Découvrir une espèce nouvelle pour la science est un événement suffisant pour entamer une démarche visant à la protéger en protégeant son habitat, qui peut couvrir un périmètre restant à définir. C’est à ce point que s’arrête le pouvoir de l’entomologiste. C’est à ce point qu’apparaît le pouvoir de la politique et de la finance ….
Dans un contexte environnemental où les problématiques liées au changement climatique sont des enjeux primordiaux, pouvez-vous nous parler de l’importance du métier d’entomologiste, plus particulièrement en ce qui concerne la découverte de nouvelles espèces pour un territoire et/ou pour la science ?
La réalité nécessite une douloureuse mise au point : le nombre d’espèces qui disparaissent sans avoir été rencontrées ni décrites est sans commune mesure avec le nombre d’espèces actuellement découvertes et nouvelles pour la science, l’effectif des populations ne cessant de se réduire jusqu’à leur extinction. L’activité anthropique est la principale cause de ce processus désastreux, et les entomologistes en sont les premiers témoins, en ce qui concerne les insectes.
Découvrir de nos jours une espèce nouvelle pour un territoire signifie : soit que cette espèce a longtemps été confondue avec des espèces proches, soit que l’effectif de ses populations est extrêmement réduit, soit que cette espèce a élargi ou déplacé son aire d’occurence sous l’effet d’un changement, climatique par exemple.
Découvrir de nos jours une espèce nouvelle pour la science signifie que : soit cette espèce a longtemps été confondue avec des espèces proches, soit l’effectif de ses populations est extrêmement réduit, soit cette espèce nous était inconnue car son habitat était jusqu’alors inexploré.
Découvrir une espèce nouvelle pour la science est un événement suffisant pour entamer une démarche visant à la protéger en protégeant son habitat, qui peut couvrir un périmètre restant à définir. C’est à ce point que s’arrête le pouvoir de
l’entomologiste. C’est à ce point qu’apparaît le pouvoir de la politique et de la
finance …. Un entomologiste ne pouvant agir isolément, de nombreuses structures, locales, nationales, internationales vouées à la préservation de la nature peuvent le soutenir ou se substituer à lui dans une telle démarche.
En rapport avec votre collaboration avec Microland, quels sont les enjeux de São Tomé-et-Príncipe que vous avez analysés et quelles sont les actions que vous avez entreprises en tant qu’entomologiste ?
Les îles de São Tomé-et-Príncipe font partie de ces zones géographiques ayant échappé aux grandes glaciations du Pléistocène, devenant ainsi un refuge exceptionnel pour la faune et la flore. L'insularité et l'évolution aidant, de nombreuses espèces y sont à présent endémiques. La richesse de la biodiversité de ces îles est reconnue par le monde scientifique international, qui classe la forêt équatoriale de São Tomé-et-Principe comme la deuxième en termes de priorité de conservation (pour les oiseaux) parmi 75 forêts d'Afrique.
En tant qu’entomologiste, la première action essentielle, est de prendre connaissance des constituants de l’entomofaune de l’archipel et de partager cette connaissance. Une liste exhaustive est impossible, mais nous pouvons nous en approcher pour certains ordres. Cette liste constituera la pièce maîtresse nous permettant d’interpeller les autorités locales et internationales sur les actions de protection et de prévention à mener.
En ce qui me concerne, étudiant la faune de l’île de la Réunion depuis plus de vingt ans, et y connaissant les principaux interlocuteurs et organismes œuvrant pour la préservation de la nature, je désire mettre en relation, mais ce sera très long, par l’intermédiaire de Monsieur le Consul installé à Marseille, plusieurs structures ayant les mêmes objectifs, mais des moyens pour ainsi dire incomparables. Mes amis réunionnais sont prêts à répondre aux besoins des santoméens. À savoir :
Le Parc national de La Réunion et le Parc naturel Obô de São Tomé,
Le Conservatoire Botanique National de Mascarin, et le Jardin Botanique de Bom Successo,
L’Observatoire des tortues marines Kélonia, et le Centre de sauvegarde des tortues de Morro Peixe.
Par ailleurs, sur le plan humanitaire, des établissements scolaires réunionnais sont prêts à venir en aide à des établissements santoméens, sur le plan matériel, et par des actions éducatives, culturelles, …
Ceci est un projet ambitieux, je ne le pense pas utopique. Nous verrons avec le temps, surtout depuis la création récente de la Fondation Micondó à São Tomé.
La suite. Avez-vous un événement majeur qui marquera l'année 2020, en relation avec votre métier et/ou notre association ?
L’événement majeur qui marquera l’année 2020, ou du moins devrait la marquer si la situation sanitaire que nous connaissons actuellement en permet sa tenue, sera sans nul doute le Congrès Mondial de la Nature au Parc Chanot à Marseille, du 11 au 19 juin. Créé en 1948, et organisé tous les quatre ans, le Congrès de l’UICN a pour objectif premier l’amélioration de la gestion de notre environnement naturel tout en œuvrant pour le développement humain, social et économique. Tous les secteurs de la société sont ainsi impliqués dans le partage des responsabilités et des avantages de la conservation. Pour la première fois, ce Congrès sera ouvert au grand public ; il accueillera d’une part plus de 10 000 congressistes et attendra plus de 100 000 visiteurs ; de très nombreux stands seront installés pour les sensibiliser et les informer, dont celui de l’OPIE…
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